Identité nationale brouillée, identités buissonnantes
J’écrivais dans le billet du 9 novembre une citation du président Barak Obama : Que les identités se brouillent et se reforment d’une autre façon. Un internaute m’a alors demandé dans les commentaires un exemple concret de cultures qui se chevauchent et se reforment d’une autre façon, de manière pacifique. Non, vraiment, je ne parle pas toujours de ce que je ne connais pas. Cette fois, je parle en connaissance de cause et je vais développer un peu.
J’habite en Haute-Savoie et je dirige une école de 143 élèves. La Haute-Savoie est la seconde région d’immigration turque après l’Ile-de-France. J’exerce dans le bassin clusien, au cœur d’une région industrielle qui a été longtemps très riche, et dans laquelle les petites et moyennes entreprises sont présentes jusque dans les hameaux des villages. La spécialité industrielle de ce bassin est le décolletage, lequel réclame une main d’œuvre nombreuse. L’immigration y est donc forte et l’industrie ne bénéficie pas seulement de l’immigration turque
Sur 143 enfants scolarisés chez moi, 43 ont des parents nés ailleurs qu’en France, en Turquie donc, mais aussi en Algérie, au Maroc, en Tunisie, en Bulgarie, en Bosnie, au Portugal, et en Afrique de l’ouest. 26 de ces enfants ne parlent pas français à leur entrée dans mon école, à trois ans. La langue maternelle de chaque enfant est en effet pratiquée à la maison, et le français réservé à l’école. On peut apporter quelques nuances à cette règle dans le cas d’enfants qui ont des frères et sœurs plus âgés qu’eux, lesquels introduisent progressivement le français à la maison. Les frères et sœurs, de l’école maternelle jusqu’au lycée, se mettent alors à parler français entre eux à la maison et à ne parler la langue maternelle qu’avec leurs parents.
Dans ma classe de 29 élèves de trois ans, 11 enfants ont des parents nés à l’étranger, et 4 ne parlent pas français. Une famille est africaine, deux sont marocaines, une est bulgare une autre enfant vient d’Hawaï, les autres sont turques.
La population de mon école est donc une mosaïque d’identités et elle bruisse de cultures diverses qui se chevauchent et se découvrent les une les autres.
Beaucoup de parents sont musulmans et plusieurs mamans portent le foulard. Une maman porte une burka qui n’est pas intégrale : elle est couverte des pieds à la tête par une immense robe et un foulard bien ajusté autour du visage, lequel reste découvert. Ces mamans-là n’ont pas notre conception de la vie des femmes. Reste que si on s’y prend sans les heurter, on arrivera à gagner leurs filles à la cause européenne, j’en suis persuadée. Je demande à ces mamans musulmanes de nous accompagner en sorties, je veux qu’elles s’impliquent dans la vie de l’école ; ça fonctionne. J’en ai même vu quitter leur foulard. Ce sont des faits, pas de la théorie.
L’identité nationale n’existe donc pas chez moi, personne ne peut la revendiquer. En échange, on se découvre les uns les autres, les cultures sont buissonnantes, et si nous sommes différents, nous trouvons toujours des valeurs communes à partager. Celles de la République ne sont pas éminemment "nationales".
Crédit photo : femme au Burkina, Olivia Lenoire