Distribution de lait et lutte anti alcoolique
Ce matin, sur France Inter, dans la chronique « Mémo » de Simon Tivolle, la voix de Mendès France, vibrante et appuyée, enjambe 53 ans d’espace-temps et fait résonner à nos oreilles un message qui exhorte à éduquer les enfants à boire du lait, du jus de fruits et de l’eau, plutôt que du vin, de la bière et du cidre. C’est donc bien dans le cadre d’une campagne anti alcoolique initiée par ses soins que Mendès France a décidé de faire distribuer du lait dans les écoles maternelles et primaires dès la rentrée 1954. Pourtant, que nous a-t-on dit, à nous, enseignant(e)s de maternelles, pour nous déconseiller fermement la distribution de lait ? On nous a dit que cette collation avait été instituée en 1954 pour pallier à la malnutrition, et que, 53 ans plus tard, elle n’avait plus de raison d’être. L’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) avait d’ailleurs été diligentée en 2003 par la Direction générale de la santé pour étudier ce phénomène de société. Son verdict fut sans appel : la collation matinale en maternelle est trop énergétique. Personne ne contredira cela. L’Afssa est d’ailleurs ouverte à une adaptation de ses recommandations selon les lieux, les habitudes parentales, et les contraintes. Son avis relatif à la collation matinale à l’école a été publié. Mais voyez l’extrait suivant, issu de la saisine du 18 août 2003 : « Il est important de rappeler que la distribution de lait le matin a été instaurée en France en 1954 pour lutter contre les états de carences et de malnutrition chez les enfants (gouvernement Mendès France). » Il est surprenant de lire la motivation de 1954 évoquée par l’Afssa : la malnutrition. Alors que cette distribution s’inscrivait très nettement dans une campagne anti alcoolique, le discours de Mendès France pour la rentrée de 1954 faisant foi. Apprendre aux enfants à boire sain, en leur faisant prendre l’habitude de choisir les bonnes boissons dès le plus jeune âge était la priorité de l’époque. Bien sûr, le gain était double, car cet apport de qualité pouvait pallier aussi aux carences inhérentes à la pauvreté des familles. Aujourd’hui, les petits qui ne prennent pas de nourriture le matin, pour la plupart, sont des enfants qui la refusent et n’ont pas le goût d’avaler quoi que ce soit de consistant au saut du lit. Par excès de stress, et par une habitude de donner le biberon jusqu’à un âge trop avancé. Rapide, pratique, le lait au biberon, même chocolaté, ne remplace pas les glucides lents d’une bouillie ou d’une tartine.
Je ne suis pas contre la suppression de la collation matinale scolaire, car cette collation prise à l’école donnait raison aux habitudes des parents, qui doivent s’atteler à cet aspect de la nutrition de leur enfant, plutôt que de le considérer comme une fatalité. Apprendre à déjeuner, cela paraît surprenant, mais cela devient une nécessité, et les solutions existent.
Par contre, je pense que les élèves ne doivent pas passer une matinée ou un après-midi de plus de trois heures sans s’hydrater. La moitié d’un grand verre de pur jus de fruit, suivi d’eau s’ils ont encore soif, est donc servi, dans mon école, en milieu de matinée comme en milieu d’après-midi. Le maintien de la collation « liquide » est indispensable pour tous. Manière de sauvegarder l’aspect socialisation de cette pause autour d’une table, et de confirmer que, même à notre époque, on a besoin de lutter contre l’alcoolisme. Et pourquoi la mention de cet objectif ne figure-t-il plus dans les recommandations ? La lutte contre l’obésité peut être un objectif important, et ne pas occulter cependant d’autres préoccupations d’avenir, liées, elles aussi, à la santé publique. Craindrait-on plus en 2007 qu’en 1954 le lobby viticole ?