Une nature cultivée mais bien cachée
L’entreprise de communication de Yves Rocher est une énorme machine bien rodée : elle navigue à l’aise, et depuis 1975, date de la création des jardins de la Gacilly, sur la vague « Nature », l’exploitant à fond, et la déclinant sous tous ses aspects, quitte à désinformer, et à parer ses produits de qualités qu’ils n’ont pas. Yves Rocher s’est aussi doté d’une sorte de charte de bonne conduite de ses cosmétiques qui me laisse perplexe. Je ferai d’abord une petite revue des produits populaires censés contenir des plantes, puis je vous soumettrai leurs engagements vis-à-vis de la planète, et nous verrons que, pour la plupart, ils ne sont pas très novateurs.
Les plantes chez Yves Rocher, c’est comme les principes actifs en homéopathie : les utilisatrices consomment crèmes et soins en croyant fermement qu’ils sont à base de plantes, comme elles consomment des granules en ignorant que le contenu n’est que de l’excipient. Or, à la lecture des étiquettes de ce que vend Y. Rocher, vous aurez une révélation ! Beaucoup de ces produits ne contiennent pas une trace de l’élément naturel annoncé et abondamment décrit sur l’emballage. La croyance se propage par simple rituel du consommateur : l’habitude. Funeste habitude que celle de ne pas prendre le temps de consulter les étiquettes ! Je l’ai donc fait pour vous cet après-midi en me rendant dans une boutique Yves Rocher. Je me suis dirigée vers un rayon vedette, attrayant, coloré, bien rempli : celui des Plaisirs Nature. Un nom comme celui-là, ça ne s’invente pas. Et ça inspire, ça fait rêver… que diriez-vous du Lait Velouté pour le Corps à la Pêche ? Hum… avec autant de majuscules à tous les mots (ce n’est pas moi qui les ai mises !), ce doit être d’une Qualité qu’on suppose Supérieure !! Sur la bouteille, le logo d’un arbre saute aux yeux avec le nom de la gamme qui le coiffe : Les Plaisirs Nature. Un texte au dos de l’emballage a l’audace d’affirmer, de façon très explicite - et en gras ! : « Retrouvez […] les bienfaits du beurre de karité et l'authenticité de la saveur suave et délicate de la pêche ». Mais qu’il y a-t-il dans ce lait si naturel, si pêche et beurre de karité en sont absents. ? Eh bien, dans le petit cadre, et avec une bonne loupe, vous découvrirez sa composition réelle : propylène glycol (solvant), paraffinum liquidum (antistatique, émollient, solvant), stéaric acid (émulsifiant, stabilisant), cyclopentasiloxane (non répertorié), petrolanum (de la vaseline !) etc. Je vous fais grâce des 20 autres éléments chimiques de ce lait savoureux. Ah, j’oubliais ! : je ne serais pas honnête si je ne mentionnais pas que j’ai effectivement trouvé un élément naturel dans cette liste : AQUA.
Passons à un autre produit de la même gamme, mais pour la douche : le gel moussant au Chèvrefeuille. Là aussi, nous pouvons apprécier la haute teneur en nature qu’Yves Rocher veut offrir aux femmes. Le gel au chèvrefeuille n’a pas une trace de cette fleur. Que des arômes artificiels. Garantis par la vendeuse, à qui j’ai posé innocemment la question. « Pas de fleurs, pas la moindre ? » « Non, du tout, affirma la jeune femme, juste des parfums de synthèse ». Inutile de l’ennuyer, elle n’y est pour rien. Mais lisons le dos du flacon ensemble : « Les laboratoires Yves Rocher ont concentré toute l’action dynamisante du Chèvrefeuille (avec une majuscule !) dans un Gel moussant » (oui, oui, une majuscule aussi au gel !). Bigre, ils sont forts chez Y. Rocher : ils ont réussi à concentrer une absence de Chèvrefeuille, un vide, donc. Et un concentré de vide, ça donne quoi ? Eh bien, cela vous donne une liste de 29 ingrédients chimiques pour votre petit gel douche de 200 ml. Vous ne saviez pas que votre douche serait une pluie de noms barbares ? Remarquez, je n’ai rien contre la chimie. Elle apporte la sécurité de la conservation, et les parabens, s’ils sont soupçonnés d’être allergisants, sont tout de même un garant de non contamination bactérienne, ce qui est primordial. La chimie ne me gène pas ; ce qui me gène, c’est la tromperie. La vague « Nature » d’Yves Rocher nous submerge, nous enveloppe, nous éteint l’esprit critique dans un cocon de douceur, sans qu’elle ne se justifie vraiment. La nature n’est qu’une vitrine, un appel commercial.
Je réserve pour un prochain billet les engagements d’Yves Rocher pour la Planète. Là aussi, il y aura à redire.