Ni sens ni tendances pour lévolution !
Un article du Monde de ce dimanche 13 mai 2007 nous relate un entretien avec le paléontologue Jean Chaline. Le titre ne peut manquer d’interpeller le lecteur : Quelle allure aura l’« Homo futurus » ? Précisons que Jean Chaline figurait dans le film très controversé diffusé sur Arte en octobre 2005, qui avait soulevé un tollé chez les scientifiques puisque la thèse de la paléoanthropologue Dambricourt-Malassé[1], qui consiste en une vision de l’évolution de l’homme programmée à l’avance, y était développée. Pour elle il existe une « hominisation », c’est-à-dire un processus de progrès dédié à la nature humaine, lequel se poursuit vers toujours plus de perfection. Elle souscrit ainsi à un dessein intelligent alors que la science montre que l’évolution de l’homme n’a pas de finalité. Jean Chaline est donc un adepte de madame Dambricourt. Que nous dit-il dans cet entretien ? Il tient un discours anti-darwinien, puisque d’emblée il parle de « tendances » et de « sens » au sujet de l’histoire humaine.
« Cependant, il existe des tendances évolutives globales depuis des millions d’années pour l’ensemble des primates » Il enchaîne pourtant : « Nous les connaissons, et elles permettent d’évaluer approximativement dans quel sens une évolution est potentiellement possible. »
Il n’a pas peur du choc des mots, monsieur Chaline ! Il faudra que l’on m’explique comment des « tendances », donc un principe dynamique (définition Petit Robert) peut se lier sans contradiction avec l’« évolution potentiellement possible » de la fin de sa phrase. Décomposons le raisonnement : si une évolution (prise dans son sens neutre, sans connotation de progrès) est potentiellement possible, ce ne peut pas être une tendance. Car ce potentiellement possible n’est rien d’autre qu’un possible parmi une multitude d’autres, un réservoir, donc… sans tendance particulière. L’évolution en question restera dans l’éventail des choix sur lequel agira la sélection naturelle.
À chaque question des journalistes sur la prochaine tendance (à la mode ?), Jean Chaline répondra par un descriptif, ce qui renforce le concept d’évolution programmée. Par exemple, concernant l’augmentation de la taille du cerveau, Jean Chaline explique que cette évolution du volume de notre cerveau « n’est pas impossible » mais qu’elle se fera après la naissance, car sinon elle empêchera les femmes d’accoucher ! Bel exemple de raisonnement post hoc ! Et puis Jean Chaline n’oublie pas de souscrire aux idées reçues sur la bipédie : « L’homme moderne est devenu bipède en raison de cette migration [du trou occipital] corrélée avec des mutations des muscles et os du bassin. ». La bipédie serait le propre de l’humain, elle l’aurait élevé au-dessus de la meute ? Pascal Picq[2] nous dit pourtant que « l’aptitude à la bipédie fait partie du répertoire locomoteur des grands singes qui se suspendent. » La bipédie n’est donc pas notre monopole, nous avons simplement exploité à notre avantage ce caractère présent dans notre grande famille des primates.
Par sa valorisation de la bipédie et du cerveau humain, gages de supériorité humaine, Jean Chaline se fait le chantre de la scala natura chère à Aristote : l’homme est un être d’exception, situé en haut de l’échelle des espèces. Les scientifiques de l’évolution, comme Pascal Picq en France, ou Stephen Jay Gould aux États-Unis, nous apprennent pourtant que l’homme fait partie d’une évolution buissonnante. Les primates n’en sont qu’une branche parmi d’autres, sans hiérarchie. Pyramide et échelle des espèces sont ainsi tombées en désuétude, anéantissant le sens et les tendances de l’évolution, par manque de pertinence scientifique. Jean Chaline le sait-il ou bien fait-il mine de l’ignorer ?
[2] Maître de conférences à la chaire de paléoanthropologie et préhistoire du Collège de France, dont les deux derniers ouvrages sont Lucy et l’obscurantisme, chez Odile Jacob, avril 2007, et Nouvelle histoire de l’Homme aux éd. Perrin, 2005.
[1] En 2000 elle publie La légende maudite du XX° siècle : l’erreur darwinienne, éd. Nuit bleue.