Marseillaise sanguinaire contre Ode à la joie
Deux événements ont marqué ces derniers jours et sont totalement antagonistes : l’anniversaire du traité de Rome, qui a impulsé l’Europe, et les appels au nationalisme de deux candidats à la présidentielle. Le ministère de l'identité nationale et de l’immigration suggéré par Sarkozy et le drapeau français dans chaque foyer suggéré par Royal sont en effet de drôles de symboles européens. Face au reproche incessant que les français ne savent pas être européens, et sont même en train de la bousiller, les candidats ne savent que nous enjoindre à adopter des conduites idéologiques de nationalisme et de communautarisme. Je doute que ces comportements nous poussent à l’amour de l’Europe et à « nous penser européens ».
Le plus grave est que l’un des symboles de la Nation est une chanson sanguinaire, et que cette chanson sanguinaire, nous devrions la chanter dans les écoles ! Nous savons tous que la répétition par cœur de paroles peut influencer les esprits. N’est-ce-pas ainsi que fonctionnent les dictatures, par des chants ou des slogans guerriers maintes fois martelés ? N’est-ce-pas ainsi que fonctionnent les religions, avec des prières et des litanies marmonnées sans compréhension, mais avec conviction ? N'est-ce pas ainsi que fonctionnent aussi la publicité et quelques-uns de ses messages qui entrent dans nos têtes malgré nous ? Comment espérer que l’apprentissage de la Marseillaise fonctionne autrement dans l’esprit des enfants ? Comment, devant une classe, ne pas avoir honte, même si c'est avec des explications, de réitérer des appels à la guerre et au racisme ? Si j’étais enseignante en classe élémentaire, je ferais analyser cette Marseillaise avec esprit critique, avec un décryptage humain et citoyen, puis je leur demanderai d’inventer d’autres paroles, qui ne seraient ni racistes et haineuses, mais porteuses d’un désir de « savoir-vivre ensemble ». Je suis certaine que des enfants auraient des idées géniales et certaine aussi que des instituteurs ont déjà mené ce travail. À défaut de créer un autre texte à la Marseillaise, on peut aussi étudier et faire apprendre le magnifique texte de L’ode à la joie, hymne européen (texte ci-dessous), même si la référence finale au "tendre père" doit être éliminée dans un souci de laïcité. Le savoir vivre ensemble qu’il nous enseigne serait un des remparts à dresser devant le nationalisme et les communautarismes. L’éducation civique et citoyenne a toute sa place dans les écoles et fait partie des programmes. Mais je doute qu’il faille la faire passer par des sangs dits impurs.
Ode à la joie
Mes frères, cessons nos plaintes !
Qu'un cri joyeux élève aux cieux nos chants de fêtes et nos accords pieux !
Joie ! Joie ! Fille de l'Elysée,
Flamme prise au front des dieux,
Nous entrons l'âme enivrée
Dans ton temple glorieux.
Ton magique attrait resserre
Quand la mode en vain détruit;
L'homme est pour tout homme un frère
Où ton aile nous conduit.
Si le ciel comblant ton âme,
D'un ami t'a fait l'ami,
S'il te donne un cœur de femme,
Suis nos pas au seuil béni !
Viens, si tu n'aimas qu'une heure
Qu'un seul être sous les cieux !
Vous que nul amour n'effleure,
En pleurant, fuyez ces lieux !
Bois la joie au bruit des chants,
Tous, de roses, sa parure,
Ont leur part,
Bons et méchants.
Elle a tout : raisins qu'on presse,
Sûrs amis, baisers de feu,
Donne au ver rampant l'ivresse,
Et le chérubin voit Dieu.
Fiers, tels les soleils d'or volent
Sur le plan vermeil des cieux,
Faites, frères, votre voie :
Gais, tels vont combattre
Les héros emplis de gloire !
Qu'ils s'enlacent tous les êtres !
Un baiser au monde entier !
Frères, au plus haut des cieux
Doit régner un tendre père.
Tous les êtres se prosternent ?
Pressens-tu ce père, Monde'
Cherche alors le Créateur
Au-dessus des cieux d'étoiles !