La finalité, ce hiatus entre religion et darwinisme
Mardi 10 février a eu lieu une conférence de presse à l’Eucharistie Sacrement de la Miséricorde, afin de présenter la Conférence internationale sur l’Évolution prévue en mars par le Vatican et dont j’avais parlé dans un billet de mon blog daté du 2 octobre 2008.
Mgr Ravasi y renouvelle, face à la presse, toute sa volonté de ne pas froisser les scientifiques, en reconnaissant la valeur de la théorie de l’évolution. Soit… il exprime ainsi le désir que la religion catholique « officielle » ne dérive pas vers l’intégrisme. Mais son discours est ponctué de petits ajouts ici et là, ajouts qui trahissent le désir de voir les scientifiques rejoindre le troupeau sinon des croyants, du moins des assujettis. Ainsi Mgr Ravasi affirme qu’il est nécessaire de « rétablir le dialogue entre science et foi de manière à ce qu’aucune des deux ne reste seule à traiter du mystère de l’homme et de l’univers. » Songeons un peu à ce que signifie cette phrase : les scientifiques devraient traiter de l’évolution en partenariat avec l’Église, afin de ne pas rester seuls face à notre mystère constitutif ? Cela entraîne une prise en compte des concepts religieux, comme celui de vérité révélée, de dogmes, d’assertions sans démonstration ? Mission impossible. Ni le dialogue ni le débat ne sont envisageables dans ces conditions avec des protagonistes aussi opposés. Reste que la science peut aussi respecter les croyances des uns et des autres, mais je ne vois pas ce qu’elle pourrait tirer d’un véritable dialogue. Peut-être une morale ? La morale n’est pas le monopole de la religion, contrairement à ce qu’a affirmé notre président, qui pense que l’instituteur n’aura jamais la valeur d’un curé, montrant ainsi sa profonde inculture.
Mgr Ravasi se permet aussi des réflexions d’un autre âge (du type de celles lancées par les autorités religieuses à Copernic ou Galilée) : « À considérer cependant que le hasard demeure une simple lecture scientifique des phénomènes, sans capacité de nier la sphère de la finalité des choses. » Deux choses fondamentales qui consacrent la rupture entre science et religion résident dans cette phrase de Ravasi :
- Il était en effet permis à Copernic en 1545 ou à Galilée en 1610, de discourir de leurs travaux sur le mode des hypothèses, sans revendication de vérité, et de les laisser ainsi s’évaporer comme de simples poésies. Les hautes instances du clergé n’ont donc pas évolué, elles exigent toujours de la science, au XXIe siècle, qu’elle ne propose que des hypothèses (ça ne coûte rien, on en fait tous les jours !), et qu’elle garde le fil du dialogue (qui ressemblerait à un tutorat ?) avec les religieux, qui, eux, ont les « capacités » de dire la finalité… La science ne serait qu’une « lecture » du monde, elle ne devrait rien revendiquer d’autre. Il serait joli, le dialogue…. Si les savants acceptaient ce marché de dupes, je me demande pourquoi ils auraient encore envie de se tuer à faire des démonstrations de leurs théories, puisqu’elles ne seraient que des lectures. Accepter cela, ce serait tuer l’esprit intellectuel et la dynamique de la science.
- Cette phrase révèle aussi le profond hiatus entre science et religion par un second point fondamental : le refus du hasard. Il rend l’approche théologique du darwinisme complètement biaisée, puisque la théorie de l’évolution se fonde sur l’aléatoire (pas de projet global), laissant les relations causales au local et au ponctuel (mais là aussi une part de hasard intervient). Le problème de la finalité est donc le point d’achoppement qui rompt le dialogue, si tant est qu’on aurait réussi à en installer un.
La conférence qui se prépare ne sera donc qu’un petit jeu de diplomatie, afin de ne pas jeter d’huile sur le feu et de montrer au monde que les dirigeants catholiques sont des gens modérés, séparés des exigences intégristes du créationnisme. N’en espérons pas plus, et souhaitons surtout que les scientifiques ne perdent pas la tête en épousant la téléologie.
Dessin de José Tricot