La CEDH et les expulsions d'étrangers malades
La Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a rendu le 27 mai 2008 un curieux arrêté, au regard de ses missions de protection, civile et politique, de l’individu. Cet arrêté a fait l’objet d’une dépêche AFP, mais vous pouvez lire l’original sur son site. La CEDH a en effet estimé que la Grande-Bretagne, en expulsant de son territoire une ougandaise atteinte du VIH, ne violait pas les droits de l’homme. L’arrêt rendu précise que cette expulsion ne constitue pas un « traitement humiliant ou dégradant » tel que le définit l’article 3 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, et que la requérante avait la possibilité de se faire soigner en Ouganda.
« Enfin, la Cour considère que, bien que la présente affaire concerne l’expulsion d’une personne séropositive et présentant des affections liées au sida, les mêmes principes doivent s’appliquer à l’expulsion de toute personne atteinte d’une maladie physique ou mentale grave survenant naturellement ». Survenue naturellement ? Sur le site d’Amnesty International, on peut lire à propos de la situation des femmes en Ouganda :
« La violence contre les femmes est endémique en Ouganda. Le conflit entre l’Armée de résistance du Seigneur et les forces gouvernementales, qui a duré vingt et un ans et s’est terminé en 2006, s'est caractérisé par un ensemble de violences sexuelles contre les femmes et les filles. La situation de ces dernières reste dramatique, malgré la fin des hostilités. »
Savoir si, dans ces conditions sociétales dramatiques, la transmission de la maladie s’opère par le seul fait du comportement naturel de la personne contractante est donc impossible. L’affirmer aussi simplement en parlant de « survenue naturelle » est plutôt péremptoire et revient à balayer de la main le quotidien à hauts risques de la femme africaine.
Mais l’affaire examinée par la CEDH est issue de la Grande-Bretagne, revenons en France. Qu’en est-il chez nous ? Ici, une loi de 1997 permet, en principe, aux patients issus de pays étrangers de se faire soigner en France si leur pays d’origine ne peut leur assurer les traitements adéquats et le suivi médical dont ils ont besoin.
Extrait du rapport de 2003 de L’Observatoire du Droit à la santé des Etrangers (ODSE) - le rapport 2007 est paru le 3 juin 2008 - : « C’est en 1997 qu’a été inscrite, pour la première fois dans la loi, l’inexpulsabilité d’étrangers "atteints de pathologie grave" (Debré). Depuis la loi de 1998 (Chevènement), le dispositif législatif a élargi les conditions de la protection contre l’éloignement (Art 25.8°) et s’est enrichi du droit au séjour, formalisé par la délivrance de plein droit d’une carte de séjour temporaire "vie privée et familiale " »
Mais quelques lignes plus loin dans ce rapport, l’ODSE dénonce aussi des remises en question :
« Les pratiques de nombreuses préfectures et la diffusion par les gouvernements successifs de textes d’application de plus en plus restrictifs dessinent une politique de dissuasion et de déni du droit au séjour, remplacé par un traitement " humanitaire " des dossiers. Cette politique apparaît principalement fondée sur une présomption de fraude, qui s’étend des étrangers malades aux accompagnants et professionnels qui leur viennent en aide. »
C’est une circulaire, qui, en 2006, arrivera à contourner plus franchement la loi de 1997 pour mieux encadrer et faire baisser la prise en charge médicale d’État des étrangers. La stratégie vise à établir une liste de pathologies qui, recoupée à une liste de pays où des traitements sont disponibles, décidera du sort des patients. Le vocabulaire change pour qualifier les possibilités médicales du pays d’origine : il n’est plus question « d’accès aux soins », mais « d’offre de soins ». La conséquence bien sûr, c’est que le pays peut faire une offre de soins, mais que mal diffusée, mal répartie, cantonnée à la capitale, hors de prix, ou soumise à conditions, elle ne touchera pas le patient. Une offre de soins qui n’atteint pas ses patients n’est pourtant pas une véritable politique de santé publique. Toute l’analyse technique de cette circulaire de 2006 ici.
Le point d’orgue de ces « aménagements », c’est l’auto-satisfaction de monsieur Hortefeux qu’on peut déceler dans ses paroles, rapportées par le Canard Enchaîné de mercredi 3 juin, paroles qui prouvent que la politique de restriction de l’aide médicale d’État menée avec acharnement est payante : « Premièrement, nous avons l’indicateur de ceux que l’on empêche de rentrer sur le territoire, ceux qui sont refoulés. Nous avons ensuite le deuxième indicateur, ceux que l’on reconduits (…) Il y a un troisième indicateur qui est un indicateur essentiel, c’est les bénéficiaires de l’aide médicale d’État »
Gagné ! Finalement, ce qui était, en 1997, une loi pour aider les étrangers à se soigner, est devenu un simple « indicateur » pour une politique d’expulsion. Et on ne peut même plus compter sur la CDH pour dénoncer ces méthodes, puisqu’elle vient de montrer que l’accès aux soins n’était pas pour elle un « droit de l’homme » ni civil ni politique.